Rachid Laïreche est un journaliste politique qui a suivi la gauche pendant 8 ans au sein du quotidien Libération. Il signe un livre essentiel pour comprendre comment fonctionne le milieu du journalisme politique. Construit comme une succession d’épisodes marquants de l’information politique de ces dernières années, il ouvre au néophyte les coulisses de “La bulle” : une sphère qui tourne sur elle-même où journalistes et politiques donnent un bal permanent, marqué de rituels et d’usages bien établis. Sur un ton tour à tour tendre et caustique, Rachid Laïreche décrit son entrée dans cet univers à part, la façon dont il s’est emparé de ses codes et en sort avec un constat lucide sur une déréalisation qui finit par gripper la vie démocratique. 

Au fil des pages (lues d’une traite), on apprend avec Rachid à décrypter les codes de cet entre soi singulier, on s’amuse des stratégies, on comprend peu à peu pourquoi la défiance a pu s’installer entre les citoyens et la bulle politico-médiatique.  Un livre essentiel, parce qu’au-delà du journalisme politique, il dépeint sans fard les limites et l’impasse pour un journalisme en perte de prise avec le réel, soumis au miroir déformant des réseaux sociaux, et empêtré dans la dictature de l’instant. 

Ainsi, il décrit par le menu comment des personnalités inconnues il y a peu de temps, comme la députée EELV Sandrine Rousseau, est rapidement devenue une figure incontournable de la politique dans les médias. La puissance de la polémique en tant que déclencheur d’information est clairement confirmée. Twitter/X est le lieu privilégié d’observation pour les journalistes politiques. Beaucoup de papiers se nourrissent de réaction à telle où telle déclaration, et c’est le tweet qui prend parfois le pas sur le fond du sujet. On y apprend par exemple que certains politiques n’hésitent pas à envoyer leurs tweets aux journalistes en messages privés, conscients qu’ils tiennent là une sorte de micro-communiqué express. 

On y découvre aussi quels sont les “influenceurs” parmi les politiques, on y comprend comment c’est une actualité et pas une autre qui fera la une, et l’on finit par être capable de deviner l’enchaînement des articles sur un même sujet, tant tout semble réglé comme du papier à musique avec Twitter/X comme métronome. Au point, on le réalise vite, qu’on ne sait plus très bien pour qui écrivent les journalistes de “La bulle” , et ni même s’ils parlent de politique ou seulement des politiques. 

La « bulle » au centre de cet essai

Le titre du livre résume assez bien le sentiment à la lecture. “Il n’y a que moi que ça choque?” C’est la réaction brute de l’une de ses amies au récit de la vie dans “la bulle” Et c’est sans doute celle de nombreux lecteurs. Si cela peut interpeller aussi la consultante RP que je suis, c’est qu’au-delà de la bulle des politiques et des journalistes qui les suivent, ce livre pose la question de la déconnexion, de la déréalisation qui peut guetter les journalistes et nourrir la défiance des citoyens vis à vis des médias Il n’y a pas qu’en politique que l’information s’abreuve à la source des réseaux sociaux. Les communicants et les journalistes s’y retrouvent souvent, et il s’agit, je pense, d’une alerte générale et salvatrice. Nous le voyons dans le cadre du suivi de l’actualité récente : des faits exposés sur les réseaux sociaux sont repris et propagés à vitesse grand V, parfois sans prendre le temps du recul et de la vérification. Et cela a un impact sur l’opinion et sur les citoyens, qui peut prendre des dimensions tragiques. 

Mais plus simplement, cela pose une seule question : pour qui écris-tu ? Tout comme l’auteur parle de ses proches qui l’ont toujours alerté et maintenu dans la réalité, les communicants doivent plus que jamais exercer un rôle de vigie, pour briser les bulles qui peuvent éloigner nos clients du réel de nos cibles. C’est l’exercice majeur auquel l’époque et la prééminence des réseaux sociaux doit nous amener. Si cela est valable pour les politiques, cela l’est également pour quiconque s’empare de la parole publique, y compris en entreprise. Les récents débats et lois concernant la sphère des influenceurs font partie du même type de signaux à méditer : la confiance ne se gagnera qu’au prix du réel. 

“Il n’y a que moi que ça choque ?” – Rachid Laïreche. Editions Les Arènes